MYANMAR
Nous y sommes entrés en fous: 9 heures d’autobus de nuit, de Chiangmai à Bangkok; on saute ensuite dans un taxi pour se rendre à l’aéroport et on part pour Yangon, la métropole du Myanmar.
Quels chocs! D’abord, la conduite automobile: Chez nous, le volant est à gauche et on conduit à droite; en Thaïlande, le volant est à droite et on conduit à gauche; au Myanmar, le volant est à gauche et on conduit à gauche. Il y a de quoi capoter.
Deuxième choc: la plupart des hommes portent une jupe longue jusqu’aux chevilles, une espèce de drap coloré, les 2 bouts cousus ensemble. Ils entrent dedans et le nouent à la taille.
Troisième choc: notre chambre. Ça pue le vieux tapis tout sale et moisi. On a réussi à changer pour une chambre sans tapis, et qui pue un peu moins. Un peu découragés, on se demande bien ce qu’on est venu faire ici. Les chocs se suivent et ne se ressemblent pas.
4ème choc: la pagode Shwedagon, la plus belle pagode au monde. On n’a jamais rien vu de si beau depuis qu’on voyage. Un émerveillement époustouflant...
5ème choc: l’autobus à air climatisé. Pour eux, quand l’AC fonctionne, il n’y a qu’un seul bouton de control: le ventilateur. Il faisait aussi froid dans l’autobus qu’en hiver chez nous. Les gens avaient des polars à capuchon et des couvertures. Les chauffeurs ne savent pas qu’il y a aussi un control pour la température. On a gelé toute la nuit, pendant 12 heures de temps pour se rendre à Mandalay.
MANDALAY
6ème choc: Mandalay. Un million d’habitants, 150 monastères, 70,000 moines. On est au Myanmar. On se croirait au Moyen-âge. On a loué un taxi pour une visite d’une journée. Il nous a amenés voir, bien sûr, des pagodes et des temples mais il nous a aussi fait visiter quelque chose qui m’a donné un violent choc culturel.
Le choc des valeurs
On arrive dans une rue en construction et on doit faire une centaine de mètres pour visiter une fabrique de feuilles d’or pour décorer les bouddhas.
La rue en construction: des hommes et des femmes transportent à la main des pierres grosses comme ma tête pour faire les fondations de la rue. Quand les pierres sont trop grosses, des hommes les cassent à coups de masse. Il faut dire ici que Mandalay est une ville très poussiéreuse, les rues sont mal faites, les trottoirs tout brisées, etc.
La fabrique de feuilles d’or: Nous entrons dans une boutique au fond de laquelle 6 hommes aplatissent à coup de masses de petits morceaux d’or pour en faille de très minces feuilles pour décorer les bouddhas. Je vous dis qu’ils frappent fort et longtemps pour faire ce travail avec une masse très lourde. Encore plus au fond de cette bâtisse, dans un petit appartement qui ressemble à un cachot, des femmes frappent à coup de bâton sur des morceaux de bambous pour faire des feuilles de papier de bambou qui serviront à séparer les feuilles d’or et les mettre en pile. Elles frappent fort et dru, il fait très chaud et humide.
Nous visitons ensuite le fameux Bouddha d’or très vénéré par les pèlerins. Il a environ 7 mètres de haut et les gens collent des feuilles d’or sur son corps pour lui rendre hommage. J’ai lu que ce Bouddha avait 20 cm d’épais de feuilles d’or sur son ventre.
Comparaison, le choc des valeurs:
Je compare les gens qui cassent à coups de masse des pierres pour faire la rue et ceux qui aplatissent à coups de masse des feuilles d’or pour vénérer un Bouddha qui en a déjà 20 cm d’épais sur son ventre. Je vois aussi des touristes donner de l’argent aux travailleurs et travailleuses, pas ceux de la rue, mais ceux qui aplatissent les feuilles d’or et qui font le papier de bambou. Je me demande lequel de ces travaux est le plus utile. Je trouve la philosophie bouddhique très belle mais lorsqu’on en fait une religion, ça devient comme Karl Marx le disait, « l’opium du peuple». Comment nous les touristes contribuons-nous à maintenir les gens dans leur misère? En donnant des pourboires à ceux qui adorent une statue? Je n’ai jamais vu un touriste donner un pourboire à ceux qui font une rue.
Les vrais monastères
Nous sommes à Mandalay, la 2ème ville du Myanmar. Un chauffeur de taxi que nous avions utilisé pour nous rendre à notre hôtel, nous a offert de visiter un monastère peu touristique en dehors de la ville. Ce chauffeur avait l’air bien correct et nous avons accepté. Je vous raconte comment fonctionne ce monastère authentique, digne des premiers temps du bouddhisme.
En plus d’une trentaine de moines seniors, il y avait une cinquantaine de jeunes moines entre 10 et 17 ans. Ils suivent le même code de discipline décrit dans les canons bouddhiques depuis plus de 2000 ans. Ils se lèvent à 4 heures du matin et récitent des prières jusqu’au moment de partir quêter leur nourriture en ville. On les voit alors défiler à la queue leu leu avec leur bol pour recueillir les dons de la population. Après déjeuner jusqu’au diner, ils étudient les vieux écrits en langue pali, une langue qui ne se parle plus aujourd’hui. Après diner, c’est la sieste, pendant quelques heures. Ensuite, encore les classes; ils apprennent par cœur les prières en pali. Après les classes, pas de souper, une simple tisane.
On arrive là vers 5 h PM et on entend une cacophonie de chants, c’est un groupe d’une vingtaine de jeunes moines qui répètent les prières chantées en pali, chacun pour soit, sans chef d’orchestre. Ils s’arrêtent tous en même temps et s’éparpillent ici et là pour exécuter certaines tâches: ramasser des feuilles, arroser les jardins...
Et nous on est là, ils nous jettent de petits coups d’œil discrets, quasiment comme si on n’existait pas. Nous sommes toujours accompagnés de notre chauffeur de taxi qui a lui-même fait son noviciat dans un monastère. Il nous explique leur façon de vivre et répond à nos questions avec une grande amabilité. Il a 42 ans, célibataire et il travaille pour nourrir sa mère et sa sœur qui travaille dans une banque et gagne 45$ US par mois alors que le loyer en coûte 50. Il dit que quand sa mère sera morte et que sa sœur se mariera, il va retourner au monastère et sera moine à nouveau.
Nous sommes près du lieu de rassemblement et on voit arriver les jeunes novices et les séniors en file et en silence. Ils entrent dans la salle, s’assoient par terre et récitent encore des prières devant la statue d’un immense Buddha. Ils sortent tous à reculons pour ne pas tourner le dos au Buddha, encore en file indienne; les jeunes vont s’asseoir par terre dans un autre endroit et ils récitent le code de discipline. La seule condition pour rester dans ce monastère, c’est de suivre le code de discipline qui est le même qui celui des moines des premiers temps du bouddhisme. Pendant ce temps, le maître vient nous voir et nous offre de répondre à nos questions. Après la récitation, les novice sortent à reculons encore et nous retournons à notre hôtel tout imprégnés de cette atmosphère spirituel et pleins de réflexions sur ce que nous venons de vivre.
PAGAN
Ce qui attire les touristes ici, c’est qu’il y a plus de 2000 temples, pagodes et monastères dans une superficie de 42 km carrés. Nous visitons ça en taxi: un petit cheval attelé sur une charrette du genre qu’on appelait banneau dans l’ancien temps chez nous.
LE LAC INLE
Ce lac est vraiment spécial: il a une vingtaine de km de long, il n’a que 1 ou 2 mètres de profond et la moitié de sa superficie est en marais ou en jardins flottants. Il y a plusieurs villages autour, construits sur pilotis. Bien sûr, il n’y a pas d’autos, la circulation se fait en pirogue ou en long bateau d’un mètre de large.
Nous avons visité différents ateliers d’artisanat: orfèvrerie, fabrique de papier à parasol, fabrique de cigarettes, et tout ça fait à la main.
Nous avons failli aussi visiter un village de femmes à long cou. À la fabrique de papier, il y en avait trois et Diane a eu le choc en les voyant. Elles faisaient pitié, ce n’était pas beau de voir maintenir une tradition d’automutilation, Nous avons donc refusé de visiter leur village car certains guides de voyage disent que le tourisme contribue à maintenir la tradition. Les touristes vont les visiter comme on visite un zoo, ils les photographient et ce sont surtout les agences de voyage qui ramassent le cash. Donc, pour nous ce fut un non catégorique.
Autre chose étonnante, le guide du Routard suggère de donner de l’argent aux femmes qui fabriquent les cigarettes parce qu’elles travaillent fort. Je suis en désaccord parce que les cigarettes détruisent la santé et jamais je ne ferai de dons à ceux ou celles qui les fabriquent.
Finalement, nous avons passé 11 jours au lac Inle, c’est un record pour nous. Depuis que nous voyageons, nous ne sommes jamais restés plus de 5 jours au même endroit. Pourquoi 11 jours ici? Parce que nous avions acheté un billet aller retour pour 4 semaines au Myanmar et nous avons fui les autres villes à cause de la poussière surtout; donc ici on écoule du temps et c‘est le plus bel endroit du Myanmar.
C’est bien agréable. On fait des randonnées sur le lac, des trekkings dans les villages alentour et on visite souvent un monastère dans lequel on a établi contact avec le moine professeur qui prend plaisir à apprendre l’anglais en parlant avec nous.
En restant plus longtemps, les gens apprennent à nous connaître. Le propriétaire de l’hôtel nous a invités à souper.
CONCLUSION SUR LE MYANMAR
Le Myanmar, une dictature militaire et un des pays les plus corrompus au monde. Pourtant, des gens très très gentils, qui nous saluent avec de beaux sourires. C’est aussi, je crois le pays où le bouddhisme est le plus fort au monde. On voit des monastères partout, des temples, des pagodes, des petits sanctuaires dans chaque hôtel, etc.
Face à la dictature, on a l’impression d’une espèce de résignation impuissante. Il y aurait des espions partout et on a été avertis de ne pas parler de politique en public car c’est dangereux pour la personne à qui on parle car elle risque de se faire arrêter et condamner aux travaux forcés.
Par exemple, j’ai rencontré dans un village un homme qui m’a raconté un peu sa vie. Il avait un oeil crevé. Il m’a dit qu’il avait fait des études d’avocat et d’économiste. Il parlait pour la libération de son pays et il a été arrêté. Il a fait de la prison et les travaux forcés. Maintenant, il est libéré mais il n’a plus le droit de pratiquer sa profession et il vend des livres sur un coin de rue.
Aung Saan Suu Kyi a été élue avec plus de 90% des votes il y a vingt ans. L’armée l’a arrêtée et elle emprisonnée dans sa résidence sur le bord du lac à Yangon. Un journaliste américain est allé la voir à la nage; il a été arrêté et condamné à sept ans de prison. Les moines ont fait de grosses manifestations dans les rues il y a 2 ans. Les soldats sont entrés dans les monastères des meneurs, ils ont battu et arrêté plusieurs moines. Quel est le pouvoir du peuple devant une armée de soldats armés jusqu’aux dents? Quel est notre pouvoir comme touristes? Une sensibilisation internationale? L’ONU veut voter des résolutions mais la Chine, une autre dictature militaire, a un droit de veto et elle s’oppose. Donc, le pouvoir du peuple semble se résumer à une résignation. Les gens s’organisent dans leur pauvreté, il courbe l’échine comme ils le font devant les statues de Buddha... Et il garde le sourire.
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On en voit des choses en voyage. « On ne vient pas ici pour leur dire quoi faire », pour citer Roger Fortin. Mais on peut affirmer discrètement nos valeurs et ils sont libres de remettre en question les leurs comme nous remettons en question les nôtres en prenant contact avec ces mœurs et coutumes différentes des nôtres. Le choc des valeurs est très intéressant. C’est pour cela que nous sommes venus ici et on continue notre voyage avec grand intérêts. C’est passionnant.